Littérature,  Machine à Rêves

Le Paradis entre les Jambes de Nicole Caligaris

Salut tout le monde ! Je vous retrouve aujourd’hui avec la première chronique littéraire du blog (et en espérant que cela ne sera pas la dernière). J’ai dû lire ce livre pour un de mes cours et je l’ai beaucup aimé, alors j’ai eu envie de vous en parler !

4ème de couverture

“Le 11 juin 1981, l’étudiant Issei Sagawa, trente-deux ans, a commis un meurtre suivi d’actes cannibales sur notre camarade d’université Renée Hartevelt, Hollandaise de vingt-trois ans, qu’il avait invitée dans son appartement du 10 rue Erlanger, Paris XVIe, lui demandant d’enregistrer en allemand la lecture d’un poème de l’auteur expressionniste Johannes Becher. J’ai vécu la proximité de l’événement. Ce livre est une empreinte laissée sur ses marges par cet acte et une tentative d’en affronter l’opacité.
Ma vie s’est trouvée prise là-dedans à un moment crucial de son histoire et, bien que l’autoscopie me répugne, je dois me regarder au contact de ces circonstances.”

Nicole Caligaris qualifie elle-même son oeuvre de “livre autobiographique” lors de la présentation de son ouvrage à la rentrée littéraire de janvier 2013. Elle revient sur un fait divers de 1981, où Issei Sagawa, un étudiant de 32 ans, a commis un meurtre cannibaliste sur Renée Hartevelt, une de ses camarades de classe âgée de 23 ans. Dès le début du livre, elle raconte les événements du meurtre dont je vais vous épargner le récit.
Nicole Caligaris a côtoyé Issei et Renée à l’université Sorbonne-Nouvelle et revient sur ce fait qui l’a marqué 30 ans après. Elle a eu une correspondance avec Issei durant sa détention à la maison d’arrêt de Paris – La Santé du 28 août 1981 au 25 septembre 1982, avant son internement en hôpital psychiatrique à Villejuif, après avoir été jugé mentalement irresponsable. Après cela, Issei retourne au Japon où il va faire l’objet d’une forte attention médiatique.

Ce sont ces lettres qui vont être à l’origine du livre, elles sont d’ailleurs toutes retranscrites à la fin. Elle veut “revenir sur une partie de [sa] vie, mais aussi mettre ses lettres à la disposition de qui veut et de qui cela intéresse”. Elle ne cherche pas à faire le portrait d’Issei, que ce soit le jeune homme qu’elle a connu ou l’assassin. Elle ne cherche pas non plus à expliquer ou comprendre son acte, ni à reconstituer ce qui s’est passé. Le but de Nicole Caligaris est d’essayer de “regarder, d’examiner un fait divers”. Elle s’interroge et explore l’impact de l’acte sur la société. C’est également une façon de s’interroger sur ce  qui fonde notre société et notre culture, car l’acte d’Issei est un “acte limite par rapport à notre culture”. Elle empreinte un terme à Jean Paulhan qui dit que tout fait divers est un “lapsus social”. Elle s’interroge sur qu’est-ce que cela manifeste de notre société. Elle observe alors l’impact culturel et la répulsion que cela engendre. Elle s’interroge aussi à ce que cela a pu provoquer chez elle, et elle le dit elle-même, “ce n’est pas un livre sur le meurtrier, mais c’est un livre sur moi”. Ce n’est pas un livre journalistique, mais plutôt un “examen de conscience”, c’est l’empreinte que ce moment à laisser dans sa vie.

Elle parle alors de ses propres répulsions pour mieux comprendre. Elle accomplit donc une introspection, et va fouiller en soi, dans ses propres limites. Et c’est justement sur les limites qu’elle s’interroge, et plus particulièrement sur les limites que cet acte a franchi, les limites fondamentales de notre civilisation. Et c’est ce franchissement de ce qui fonde notre société qui crée la répulsion, comme par exemple la  répulsion par rapport à l’ingestion et la place du corps humain dans la société.

Elle met un point d’honneur à ne pas rentrer dans le jeu médiatique que les journalistes ont créé autour d’Issei, et au jeu que lui aussi joue. Il s’est en effet créé son rôle du “Japonais cannibale”, surnom que les médias lui ont donné, et en joue. Elle essaye plutôt de voir les liens qu’elle a pu avoir avec  Renée et Issei. Son lien avec Issei se fait autour de la littérature, avec leur correspondance et d’un livre qu’il lui aura envoyé. Quant à Renée, le seul lien qu’elle a avec la jeune femme, c’est sa condition féminine.

Nicole utilise le fait du meurtre pour s’interroger également sur la condition féminine. Il y a un entrelacement du récit en rapport avec le meurtre et de l’autoportrait de l’auteur des années 1970 et 1980. De part cela, elle s’en prend à la condition féminine de l’époque. De part ce parallèle entre le meurtre et la condition de la femme des années 70/80, on comprend d’où vient le titre “Le Paradis entre les Jambes”. Elle emprunte l’expression à Jean Clair pour développer l’idée que la femme de l’époque n’est vu qu’en tant que proie charnelle de l’homme ou matrice maternelle. Elle fait alors d’Issei Sagawa une représentation de la domination masculine, l’acte cannibaliste n’étant que l’acte de consommation de la femme poussée à son extrême. Et elle dit qu’elle  a écrit pour “contrarier la programmation de [son] entrejambe”.

En plus du lien entre le meurtre et la condition féminine, je vois dans cette oeuvre un lien entre l’écriture du roman et le meurtre. Dans l’oeuvre, on passe d’un moment à l’autre sans lien visible et explicite. On alterne entre récit du meurtre, narration autobiographique et réflexions psychologiques. Le livre est en morceau, tout comme le corps de Renée Hartevelt. Il y a une déconstruction dans le sujet du livre, mais également une déconstruction dans l’écriture du livre. Comme Frankenstein qui a assemblé des morceaux de corps pour créer son oeuvre, Nicole Caligaris a assemblé des récits pour créer son livre. Elle devient donc l’opposée d’Issei en construisant quelque chose par le biais de l’assemblage, contrairement à lui qui découpe et désassemble.

En résumé, j’ai beaucoup apprécié ce livre que ce soit d’un point psychologique avec les introspections et les questionnements de l’écrivain sur les fondements de la société et la condition de la femme, ou que ce soit dans son écriture très déconstruite mais cependant très bien menée. Nicole Caligaris nous entraîne dans son subconscient de femme qui se regarde lorsqu’elle était plus jeune et qu’elle n’arrivait pas à trouver sa place dans la société et dans un moule de la féminité qu’on lui imposait.

 

Ana, 25 ans. Et si on recommençait à rêver ?

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